CINQ CENTS ANS DE RENAISSANCE A AMBOISE, commémoration des présidents français et italiens
Ce jour, deuxième du mois de mai, temps que l’été a pour habitude de grignoter au printemps, il fait gris sur la petite ville d’Amboise. Un crachin faible mais persistant, à peine mouillé, un simili fog londonien nous imprègne les chairs au lever du jour. Faiblement, mais inexorablement, il pleuviote. Non pas qu’il fasse froid, mais on se dit déjà que les gens ne traîneront pas beaucoup en terrasse aujourd’hui.
Il faut bien qu’il pleuve de temps en temps, dit la sagesse séculaire de laquelle nous sommes tous originaires : le monde paysan. Et tant mieux si cela tombe aujourd’hui après tout, puisque la journée, nous le savons d’avance, est une journée sacrifiée pour les terrasses en ville, comme pour tant d’autres choses.
Une journée dont le sacrifice est supporté par sa population. Hier déjà dès sept heures, le périmètre du centre-ville se figeait. Aucune place de stationnement ne restera disponible, prévenait-on, et jusqu’au lendemain 17h. Les amboisiens allaient tous manquer leurs rendez-vous de fin de journée. L’activité économique s’engluait tout à coup dans des contraintes auxquelles la taille de la ville n’avait pas préparé les habitants. Il fallait monter se garer plus haut, vers les hauteurs de la ville où l’on trouve l’hôpital public, le cimetière, et des quartiers habités mais sans commerces environnants. Donc des quartiers plus lointains, mais à stationnement possible. Puis redescendre à pieds, téléphone à l’oreille pour prévenir qu’on était en retard à cause du quartier complètement bloqué. « Non mais c’est complètement dingue, j’ai tourné une demi-heure dans Amboise sans trouver une place pour me garer… » La police municipale, épaulée d’une Gendarmerie nationale solidement renforcée elle aussi, veillait au grain : « Ici c’est la fourrière » prévenaient-ils d’un air dur parce que fatigués eux-mêmes par les trop nombreuses heures supplémentaires. Et de fait, c’était vraiment l’enlèvement pour les automobilistes récalcitrants. Une fourrière de fortune fut improvisée à la hâte, un petit parking de quartier, un obscur terrain reçut les voitures de ceux qui ne trouvèrent pas de solution. On enlevait les véhicules à tour de bras en cette fin de journée de fête du travail, puisque même ce jour-là dans cette petite commune où il n’y a jamais l’ombre d’une manifestation (l’une d’elles demandée par FO ne fut autorisée qu’au rond point de la pagode, c’est à dire à plusieurs kilomètres du centre), il se trouve encore des gens qui travaillent, qui ont à faire dans le vieux bourg. Il se trouve des vrais gens qui ont des vrais rendez-vous, des vrais impératifs professionnels, familiaux ou privés. Des vrais gens qui ont une vraie vie à mener, bien en-deçà des hauteurs protocolaires.
Ceux qui doivent par exemple se rendre dans le périmètre interdit pour leur travail, ou tout simplement parce qu’ils y habitent. Ceux-là devaient s’inscrire préalablement en Préfecture avec communication du nom du chauffeur et du numéro de la plaque. A défaut, on ne passe pas. A moins d’être un véhicule de la poste ou un bus de touristes.
Le périmètre autour du château est fermé aux piétons. Pour passer, il faudra être muni d’une pièce d’identité justifiant de son adresse de résidence ou appartenir aux services de la mairie, de la poste, des hôtels ou des secours. Le reste du tissu économique est prié de prendre sa matinée de 7h à 13h. Les riverains ayant vue sur les terrasses du château avaient même été dans un premier temps interdits d’ouvrir leurs fenêtres. La mesure sera annulée l’avant-veille, ce mardi 30 avril. Maintenus par contre, l’interdiction de survoler Amboise en avion ou en drone, et celle de naviguer sur la Loire pendant la commémoration.
Cette journée pourtant, aurait dû être une journée de liesse. Elle était annoncée comme telle, des mois en amont. La ville d’Amboise allait célébrer son histoire, à quelques pas de l’endroit où la sienne rejoint celle de la nation toute entière. Comme d’autres de ses compatriotes, Léonard de Vinci nous apporta la richesse de quelques merveilles de la Renaissance italienne. Il finira sa vie un autre 2 mai, celui de 1519. C’était au Clos-Lucé, auprès de François Ier dont le château reliait la demeure par un mythique souterrain existant encore aujourd’hui. Mythique justement car si on en sait l’existence, la menace d’effondrement nous interdit d’en emprunter le parcours. Il fascine alors, il exalte la rêverie, et contribue à auréoler les alentours de son voile de mystère. Ce qui est une bonne chose, somme toute, puisque ledit mystère permet aussi de gonfler un tant soi peu les visites de la Pagode de Chanteloup ou du musée Léonard. Les deux sites constituent la fierté et la richesse de la ville en un flux ininterrompu toute l’année durant de touristes de toutes les nationalités. Avec le château, où plusieurs rois nés du ventre et des intrigues de Catherine de Médicis, encore une italienne enrichissant la France, allaient être élevés dans l’espoir de perpétuer la dynastie des Valois.
Dans ces circonstances, il n’y avait rien d’étonnant ni de choquant, à ce que le chef de l’Etat invitât son homologue italien à la cérémonie. C’est plutôt le contraire qui l’eût été: que le froid conjoncturel entre les deux chancelleries pousse le représentant de la France à ne pas inviter celui de l’Italie. Je me souviens de ces visites protocolaires de chefs d’Etat retransmises à la télévision de par le monde, un roi, un premier ministre ou un président qui défile le long des grandes artères de la ville. Partout autour, la population qui vient l’acclamer, agiter des mouchoirs, des drapeaux ou des banderoles, et qui hurle avec plus ou moins de bonne fois mais qui hurle quand même sa joie d’apercevoir, de respirer une seconde le même air que le monarque. Je me souviens de Jacques Chirac, debout dans sa décapotable, passer au ralenti au milieu de ses électeurs, serrant des mains, tout sourire de voir que malgré sa popularité en berne, il restait suffisamment de gens encore pour lui offrir des bains de foule. Je me souviens de François Mitterrand, plus altier mais respecté, divisant la France puisque premier président de gauche de la cinquième république mais bénéficiant malgré tout d’un socle solide de partisans lui permettant le même exercice. Je me souviens des images du général de Gaulle vieillissant, mais tout auréolé encore de son prestige de chef de guerre, qui faisait lui aussi de même, avec un brin de retenue en plus mais dont la popularité et surtout la capacité à incarner la fonction présidentielle rendait possible la coexistence des communistes et des libéraux dans un même projet de société indépendant des deux grandes puissances du moment. Je me souviens aussi de récits des plus anciens, ceux dont l’enfance dut s’accommoder des régimes fascistes divers de par l’Europe. Ceux-là préparaient la visite du chef d’Etat des semaines à l’avance, ils façonnaient leurs petits écriteaux à brandir au passage du dictateur dans le quartier, qui passait en coup de vent devant les enfants contraints de l’acclamer, mais qui passait tout de même au milieu des gens sans craindre d’être tué.
En ce lendemain de fête du travail à Amboise, en ce jour de commémoration du rapprochement franco-italien à l’époque de la prestigieuse Renaissance, les amboisiens sont en situation de mesurer la fracture avec le passé. Aujourd’hui le chef de l’Etat craint tant pour sa personne que la commémoration se fera en toute discrétion, à l’écart du peuple. Pour l’approcher, il faudra être des cinq-cents personnes triées sur le volet pour assister à la rencontre à Chambord des cinquante porteurs de projet de la commémoration. Une défiance envers lui qui ne rend même plus possible ce qui l’était encore en plein régime fasciste. Le président français a passé la nuit du 1er au 2 mai dans un des plus beaux hôtels de la ville, le Choiseul, situé sur les quais de Loire. Les habitants du quai ne seront pas autorisés à ouvrir leurs volets de toute la journée. Par mesure de sécurité. Difficile dans ces conditions d’agiter des fanions à la fenêtre. Il ne leur sera pas permis de se garer non plus et de se promener dans le quartier piéton, comme on l’a vu. Mais à quoi bon puisque tous les commerces seront fermés. Il ne sera pas possible sans doute d’approcher les deux chefs d’Etat à niveau de les voir, à moins peut-être de disposer d’une bonne paire de jumelles ? Seuls les scolaires sont autorisés à passer le pont à pied pour rejoindre le centre. Si l’économie est étranglée ce jour, merci monsieur le président de permettre aux enfants de se rendre à l’école ou au collège. C’est déjà ça.
Tandis que je me rends à la gare ce matin, je passe le barrage de Gendarmerie pour l’accès aux quais. Aucun contrôle dans mon sens puisque je rejoins Paris. Les gens qui descendent à Amboise par contre sont soumis à un contrôle d’identité et une fouille systématiques. Alors me reviennent en mémoire les images du traditionnel défilé du cortège présidentiel le jour de l’investiture, il y a deux ans, un autre jour de mai où la pluie s’invitait à la fête. Ce jour-là, en grand plan à la télévision, le président fraîchement élu agitait la main depuis son véhicule. Mais pour saluer qui ? Lorsque les images le permettaient, on apercevaient les boulevards parisiens, absolument vides de marcheurs, vides d’électeurs acclamant leur champion. Quelques vieilles personnes en parapluie regardaient passer le cortège sans enthousiasme, maigres rassemblements augurant sans doute de la situation qui n’allait pas manquer de se dégrader. La république française a décidément changé d’époque.
Sources principales :
Visite de Macron à Amboise : la ville en partie barricadée jeudi 2 mai, 29 avril 2019 www.info-tours
Amboise : sécurité maximale pour la venue des présidents français et italien jeudi 2 mai, lanouvellerepublique.fr, 1er mai 2019
Suivez la visite d’Emmanuel Macron à Amboise, 2 mai 2019, france3-regions.francetvinfo.fr